Le mardi 22 juin 2021, notre Compagnon Jean-Claude LEBRET a reçu la croix de chevalier dans l’Ordre national du Mérite dans la salle du Palais ducal de la ville de Caen. Cette haute distinction vient récompenser à la fois l’engagement de l’intéressé au sein de la Fédération nationale des déportés, internés et familles de disparus (UNADIF-FNDIR) dont il est le fidèle porte-drapeau de la section départementale du Calvados mais aussi son action exemplaire en qualité de visiteur de malade dans le domaine des addictions.

 Etaient notamment présents aux côtés de Jean-Claude bien connu dans le département du Calvados, M. Joël BRUNEAU, Maire de Caen, Mme la Sénatrice Corinne FERET, le Délégué militaire départemental, le commandant adjoint du Groupement départemental de la gendarmerie, le directeur du Service départemental de l’ONACVG du Calvados et de nombreux présidents, responsables et porte-drapeaux du monde associatif combattant. Jacqueline BARUFFOLO, vice-présidente du comité et Claude BARUFFOLO, trésorier étaient eux aussi présents.

 Notre Compagnon, Patrice HEBUTERNE, Président du comité de coordination des associations patriotiques de la ville de Caen officiait d’une main de maître en qualité de chef du protocole pour l’occasion.

 Après l’intervention de M. Joël BRUNEAU, Maire de Caen, Franck LECONTE a prononcé un discours suivi de la formule solennelle de remise de l’insigne au récipiendaire.

 Texte du discours de prononcé par Franck LECONTE :

 «Mmes, MM, chacun en vos grades et qualités, 

 le Maire, il n’est pas courant que le premier magistrat d’une ville accueille dans ses locaux une cérémonie de remise d’une distinction, en étant lui même présent et en ne remettant point personnellement cette décoration. Cela n’est pas courant mais cela reflète bien l’ouverture d’esprit et le caractère de Joël BRUNEAU, toujours prompt à répondre favorablement aux demandes des gens qu’il apprécie – et je sais que c’est le cas s’agissant de notre ami Jean Claude LEBRET, et toujours à l’écoute et attentif aux souhaits du monde combattant.

 Merci M. le Maire pour votre intérêt marqué pour les personnes qui constituent ce monde combattant, tellement agréable et attachant. A Caen, les anciens combattants et victimes de guerre sont particulièrement choyés.

 Nous allons, dans quelques instants, exprimer la reconnaissance de la République à une personnalité de ce monde combattant qui a consacré et qui consacre d’ailleurs toujours beaucoup de son énergie et beaucoup de son temps (et ce n’est pas Mme LEBRET qui me contredira sur ce point !) à servir dans le cadre des structures associatives combattantes, mémorielles et tout particulièrement, au sein de la Fédération nationale des déportés, internés et familles de disparus (UNADIF-FNDIR).

Pour autant, l’intéressé ne limite pas son action à cette sphère combattante. Il aurait pu (il aurait dû, pourrait dire Mme LEBRET) car cette activité est déjà, en elle même, très chronophage, particulièrement en Normandie.

Non, quand Jean Claude ne porte pas le drapeau des déportés, on ne le trouve pas forcément dans son jardin de SOLIERS, affairé à la taille de ses rosiers ou occupé à tondre son gazon. Il est aussi, chaque semaine, présent au CHU, en sa qualité de visiteur de malade auprès de patients en situation d’extrême dépendance car Jean-Claude sait, plus que tout autre, ce que ce signifie la notion d’addictions, ayant lui même connu l’enfer de l’alcool durant plus de 15 ans.

Jean-Claude, c’est aussi une vie de combat contre ce fléau. A cet égard, je me demande si cette eau abondante et bienfaisante qui tombe sans discontinuer depuis ce matin n’est pas un signe, comme une bénédiction céleste.

Je ne m’appesantirai pas ici sur sa propension à entrer en contact aussi facilement, aussi rapidement et de manière aussi détendu avec tous les publics, notamment les plus jeunes mais je veux saluer publiquement son talent en la matière. Talent connu et reconnu par tous. Talent qui lui permet d’être à l’aise partout et de faire tomber, simplement, je dirais même naturellement, toutes les barrières, qu’elles soient générationnelles, sociales, philosophiques, religieuses ou autres. L’éclectisme de ses interlocuteurs (présidents, ambassadeurs, préfets, vétérans, porte-drapeaux, sans abri, sans grade) tranche avec l’authenticité simple et invariable de son attitude.

Oui, Mmes, MM, Jean-Claude LEBRET est quelqu’un – et vous avez pu toutes et tous le constater, qui est en mesure d’établir dans des délais records des connexions positives avec quiconque, le tout avec une déconcertante facilité. Pour Jean-Claude, la communication est un art simple.

Pour beaucoup d’entre nous, Jean-Claude, c’est donc tout cela à la fois, un porte étendard, militant de la mémoire, une vie de combat pour la dignité de l’Homme, 1 personne de contact, qui sait créer du lien.

Jean-Claude, c’est aussi – veuillez me pardonner cet anglicisme – un look ; d’abord, une coupe de cheveux qui nous permet de le reconnaître de loin et qui lui permet de ne jamais paraître décoiffé lorsque le vent souffle fort sur la Place Foch ou face à la croix de Lorraine de Graye/Courseulles, c’est ensuite, une tenue, laquelle, vous l’aurez remarqué, est systématiquement de couleur noire, qu’il soit en « uniforme » de porte-drapeau ou en civil, Jean-Claude est – en anglo-normand dans le texte – « The Man in Black ».

Je me suis souvent demandé pourquoi cette tenue noire et je crois avoir finalement trouvé la réponse lorsque j’ai fait le lien avec une chanson éponyme écrite et interprétée en 1971 (Jean-Claude avait 24 ans) par le chanteur de country music Johnny CASH.

CASH explique dans ce titre « qu’il porte du noir pour les pauvres et les vaincus, ceux des rues de la faim et du désespoir, pour les vieux, malades et solitaires, et dans cette guerre du Viet Nam, en signe de deuil pour ceux qui auraient pu vivre, pour les milliers qui sont morts, croyant que le Seigneur était de leur côté » ; je suis persuadé que c’est bien la 1ère fois que l’on cite CASH dans ce vénérable Palais Ducal…

Le dernier couplet de l’hymne de CASH résume l’ensemble : « Il y a des choses qui n’iront jamais bien, je sais. Et partout, elles ont besoin d’être changées. Mais jusqu’à ce qu’on commence à agir pour en redresser 2 ou 3, vous ne me verrez jamais porter de costume blanc. J’adorerai m’habiller chaque jour d’un arc en ciel. Et annoncer au monde que tout est parfait. Mais je vais essayer d’emporter un peu de ténèbres au loin, sur mon dos. Jusqu’à ce que ce soit plus brillant. Je suis l’Homme en noir, I am the Man in Black ».

CASH/LEBRET; LEBRET/CASH, il me semble que ces deux hommes ont accepté de porter la misère du monde, de partager la douleur de ceux qui souffrent mais aussi, ce qui est beaucoup plus optimiste, de tenter de lutter contre elle en s’engageant, pleinement, sans retenue, sans rien attendre en retour.

L’engagement, voilà la valeur essentielle autour de laquelle Jean-Claude a décidé de structurer son existence.

C’est d’abord, un engagement professionnel qui pourrait se résumer par le slogan suivant : « Gloire au travail !».

Jean-Claude a effectué une carrière complète (37 ans) dans la même entreprise de bâtiment, ce qui révèle à la fois qu’il était un bon élément – et vu ses états de services, c’est un euphémisme – mais aussi la fidélité qui est la sienne, laquelle s’exprime y compris dans son activité professionnelle à laquelle il s’est consacré avec ardeur, avec talent, avec passion.

Entré comme aide traceur en mars 1970 au sein de l’entreprise RUFA de Caen, il gravit les échelons à force de volonté et d’efforts, et ce, en dépit de ses addictions : traceur, chef d’équipe puis en 1987, chef de chantier jusqu’à son départ à la retraite en mars 2007. Parmi les très nombreuses réalisations immobilières auxquelles il contribue, je veux citer le Mémorial de Caen, ce Mémorial pour la Paix que le monde nous envie. Je sais que cette réalisation fut pour lui l’accomplissement d’une Œuvre et représente toujours pour lui une gde et légitime fierté. L’incipit inscrit sur l’entrée principale entre d’ailleurs en résonance avec la vie de Jean-Claude, tellement marquée par la déportation de son père et sa propre perte, momentanée, de dignité : « La douleur m’a brisée, la fraternité m’a relevée, de ma blessure a jailli un fleuve de Liberté ».

La vie de Jean-Claude, c’est ensuite, un engagement pour une certaine idée de la France :

Porte-drapeau, chef autoproclamé mais aussitôt légitimé, des porte-drapeaux de Caen, Délégué de l’UNADIF-FNDIR, membre du Jury départemental du CNRD et acteur de la cérémonie de remise des prix aux lauréats de ce concours, en s’investissant totalement dans cette noble mission de la transmission, il a su emmener un nombre incalculable de jeunes sur les chemins de la mémoire, lesquels ont été pour beaucoup, les chemins de leur citoyenneté en construction et, ce faisant, il a su créer du lien intergénérationnel, lien précieux qui cimente la société et fait Nation.

L’arrivée de Jean-Claude au sein du monde combattant, c’est un peu comme une entrée en religion : c’est un Appel auquel il répond parce qu’il a le sentiment que c’est son devoir. C’est d’abord s’inscrire sur les traces de son père et de son oncle, réfractaire, également porte-drapeaux. Il y trouve également, un moyen de se consacrer à la France, une occasion de faire vivre cet esprit de camaraderie qui n’existe nulle part ailleurs de façon aussi intense qu’au sein des armées et du monde combattant, une opportunité pour servir.

En portant son drapeau, ce sont les valeurs de la République qu’il affiche et fait vivre. Pour lui, ces valeurs républicaines sont indissociables de son admiration pour le Général de GAULLE, qui l’a amené à rejoindre le comité Fidélité Gaulliste de Basse-Normandie. Les 14 et 18 juin dernier, il était encore parmi nos Compagnons pour transmettre, inlassablement, l’esprit et les valeurs, l’héritage gaulliste, à des jeunes scolaires, lycéens, collégiens, écoliers, embarqués sur les pas du Général.

            Pour Jean-Claude, l’engagement pour cette certaine idée de la France est consubstantiel d’une certaine idée de l’Homme.

Après une longue, une trop longue période d’une quinzaine d’années où il vit l’enfer de l’alcool, allié à la prise de médicaments et à une consommation excessive de tabac, puis sa victoire sur les addictions, Jean-Claude souhaite faire de son parcours chaotique puis de sa renaissance, un exemple, une source d’espérance pour celles et ceux, trop nombreux, qui sont plongés dans l’abîme et le désespoir.

Lui qui a réussi à s’en sortir grâce à des mains tendus au bon moment, il n’a qu’une idée en tête, devenir un exemple pour les autres, aider à son tour. Et depuis près de 20 ans, en qualité de visiteur de malades, c’est au sein du Service d’addictologie du Pôle « santé mentale adulte » du CHU de Caen qu’il ne cesse de tendre la main, se dévoue sans compter au profit des malades, transmettant son expérience personnelle, soutenant de nombreux patients dans leurs difficultés du quotidien et apportant une aide significative aux thérapies mises en place.

Jean-Claude devient, dixit le Chef du Service d’addictologie « une référence dans la relation d’aide en matière de dépendance alcoolique ».

Systématiquement, obstinément, il est présent à chaque RDV, devant chaque malade, qu’il soit lui même en forme ou non, fatigué ou non et quels que soient ses problèmes personnels du moment. Rien de ce qui est humain ne le laisse indifférent, il veut répondre présent à l’Appel.

Croyez vous que les confinements successifs liés à la crise sanitaire ont eu raison de sa soif d’action ? Pas du tout, Jean-Claude a trouvé la parade et a diffusé urbi et orbi son n° de téléphone personnel afin que les personnes en souffrance, puissent l’appeler et trouver une écoute attentive.

Prendre des vacances ? Jamais ! Se décourager ? Jamais ! Gémir ? Jamais ! Voilà le régime exclusif et exigeant auquel s’astreint Jean-Claude LEBRET.

Et bien évidemment, inutile de le rappeler, sans attendre quoi que ce soit en retour, dans le plus pur esprit de bénévolat cher au quasi-normand Victor HUGO qui disait que « le véritable signe du dévouement, c’est le désintéressement ». Apporter un peu de chaleur humaine et si possible du réconfort et un instant de bonheur à celui qui est dans la souffrance, l’isolement, l’exclusion, voilà la seule récompense attendue.

A l’instar du Général de GAULLE, il est convaincu que la seule querelle qui vaille, au fond, c’est celle de l’Homme ; c’est lui qu’il s’agit de sauver et de faire prospérer.

Cette certaine idée de l’Homme, cette obstination à préserver la dignité humaine se concrétisent dans tous ses actes du quotidien ; en témoigne ainsi son activité de donneur de sang bénévole depuis 1982 et son engagement contre toute forme d’intolérance et de racisme, son militantisme au sein de la LICRA, où il a occupé les fonctions de trésorier adjoint de la section du Calvados de 2000 à 2005.

Derrière sa simplicité, son humilité, son humour, se cache un homme dévoué, un cœur ardent, sensible et attentif aux autres.

Jean-Claude, je me tourne vers toi pour te dire que, dans les pas des « Grands Anciens », que tu as servi, qui t’ont marqué et inspiré, tu as livré de bons combats, notamment celui de la transmission.

C’est d’abord la mémoire de ton père, Maurice et de sa douloureuse période concentrationnaire à SACHSENHAUSEN puis EBENSEE, que tu as su préserver en l’obligeant quasiment à rédiger ses souvenirs de guerre, précieux et émouvant témoignage, empreint de modestie et de retenue.

Ce sont aussi tous ces hommes et ces femmes déportés pour faits de Résistance, qui ont été d’un immense secours moral lorsque tu étais dans une situation de grande fragilité; ils t’ont aidé à survivre, à te reconstruire, à reprendre ta place dans la société, à réapprendre à vivre, à t’aimer toi même, à aimer le monde.

Eux, dont le système concentrationnaire nazi s’était pourtant évertué à enlever toute forme de dignité, ils ont su triompher du Mal absolu. Ils t’ont écouté, sans te juger, ils t’ont parlé alors que beaucoup se détournaient de toi, et tu ne les a pas repoussés, ils t’ont accompagné sur le chemin de l’abstinence et de la renaissance. J’ai compris, lorsque nous sommes allé ensemble accompagner des scolaires en pèlerinage à AUSCHWITZ-BIRKENAU, combien ton existence était symboliquement reliée à ces fantômes en tenues rayées.

A jamais, aux côtés de celui de ton père, leur nom est associé à ta victoire sur la mort. Je me permets de les citer en ce moment où ta famille et tes amis sont rassemblés autour de toi car l’évocation même de leur nom aujourd’hui donne tout son sens à notre cérémonie : Jeanne FERESRoger AGNESBernard BOULOTRoger DENIELMarcel FAUVELFrançois GUERINPierre LEFFRAY Lucien LEVILLAIN – Paul MARIONPedro MARTINMaurice JONCHERY et bien sûr Bernard DUVAL, malheureusement hospitalisé en ce moment. J’ajoute à cette liste, quelqu’un qui certes, n’est pas un déporté mais qui fut, comme toi, un fils de déporté, serviteur de la mémoire de son père : Pierre LECOMTE, qui nous a quitté trop tôt.

En continuant à citer leurs noms et rappeler leur parcours d’héroïsme et de misère, nous prenons l’engagement de poursuivre leur œuvre et de faire vivre leur idéal.

Pour qu’une vie soit épanouie, il y faut, de mon point de vue, de la foi et de l’allant. Tu as eu et tu as cette foi et cet allant.

C’est pourquoi ton chemin fait sens.

Il fait sens car, délibérément, tu as tourné le dos au repos, au confort, à la tranquillité, la surconsommation de loisirs, le repli sur soi, tellement facile, si tentant parfois.

Tout cela, tu l’as rejeté, en bloc, instinctivement, sans jugement moral d’ailleurs et sans condamnation pour ceux qui ont fait ces choix; tu as simplement considéré que toutes ces choses t’étaient étrangères.

Oui, la route que tu as choisi d’emprunter, laquelle n’est pas forcément la plus facile, force l’admiration et le respect, force notre admiration et notre respect.

Dans un monde en crise, lourd de divisions, de menaces, de tentations communautaires, la question du choix de la société dans laquelle on veut vivre et de l’engagement pour une cause qui nous dépasse, reste d’une brûlante actualité.

A cet égard, ton histoire personnelle apporte des réponses à cette interrogation et donne du corps à des valeurs qui, malheureusement, ne sont pas toujours mises en exergue en notre temps dit moderne où l’individualisme prime : le patriotisme – le courage – le respect des Anciens – le sens de l’honneur, du service et du collectif.

Ce sont ces points cardinaux qui ont orienté tes réflexions et guidé ton action.

Ton regard sur le monde qui nous entoure, ta vision de ta place et de ton rôle dans la société, ton désir ardent de servir, sont éminemment respectables.

Ton épouse, Viviane, tes enfants, tes petits-enfants peuvent être fiers de ton choix de vie même s’il implique de nombreuses absences d’un mari, d’un père, d’un grand-père.

C’est heureux, la République n’oublie pas les gens comme toi qui porte ses valeurs avec superbe et humilité et qui font preuve d’une instinctive volonté pour servir.

Aujourd’hui, c’est l’ensemble de ton parcours qui est mis à l’honneur.

Stakhanoviste de la mémoire, stakhanoviste de la commémoration, stakhanoviste du cœur, ta passion de servir et l’abnégation dont tu as fait preuve tout au long de ta vie ont été reconnus par la République qui t’a nommé par décret du Président de la République en date du 31/12/20 et sur proposition de la Ministre des armées, chevalier de l’Ordre national du Mérite.

Entrer dans un Ordre, c’est s’engager à servir toujours plus ; nous savons toutes et tous que tu seras à la hauteur de cette exigence.

Puisse cette croix qui va t’être remise dans un instant, être pour toi un message de profonde reconnaissance pour ton immense courage dans les combats que tu mènes, notamment celui contre les addictions, ta mobilisation pour la dignité de l’Homme et ton inlassable dévouement dans le port des couleurs de la France. »

(Crédits images Claude MARCHETTI)

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