Notre talentueux Compagnon, Didier Rossi, nous livre ci-dessous une nouvelle recension, cette fois ci avec l’ouvrage « Les Cerfs-volants » du grand Romain Gary, Gaulliste de la première heure et Compagnon de la Libération du 20 novembre 1944, date qui restera pour lui « le plus grand moment de sa vie », comme il le confiera bien plus tard.
« Romain Gary ! S’il est un écrivain que les adhérents de Fidélité Gaulliste doivent connaître et lire à tout prix, c’est bien Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew.
Né en Russie en 1914, arrivé en France à l’âge de 14 ans, il fait ses études à Nice puis son droit à Paris. Aviateur en 1938, il est instructeur de tir à l’école de l’Air de Salon et rejoint la France Libre en 1940. Gary prend part à la bataille d’Angleterre, participe aux campagnes d’Afrique, d’Abyssinie, de Libye et de Normandie.
Fait commandeur de la Légion d’Honneur et Compagnon de la Libération il entame, au sortir de la guerre, une carrière de diplomate tout en se consacrant à l’écriture prolongeant ainsi la grande tradition française incarnée par ses pairs que furent Paul Claudel, Alexis Léger dit Saint-John Perse, Jean Giraudoux et plus près de nous, Jean-Christophe Rufin et Daniel Rondeau.
Gary, personnage fantasque et terriblement attachant, est une icône du gaullisme. Chacun se souvient en effet de Gary vêtu, lors des obsèques du Général de Gaulle, de son uniforme d’aviateur.
Fantasque car l’auteur de « Lady L » a réussi à mystifier l’Académie des Goncourt en obtenant pour son roman « La vie devant soi », publié en 1975 sous le pseudonyme d’Emile Ajar, un second prix, après celui obtenu en 1956 pour « Les racines de ciel ».
Avec les « Cerfs -Volants », Gary nous transporte à la fin des années 30, celles des prodromes de la seconde guerre mondiale puis septembre 1939 avec l’invasion de la Pologne et enfin, en France, avec la honte de 1940 et l’épopée de la résistance.
Au prime abord, « Les Cerfs-Volants » apparaissent comme un roman sur l’amitié sur fond d’histoire d’amour impossible en raison, mais pas seulement, de l’extraction familiale des deux principaux protagonistes : Ludo et Lila.
Et si le roman de Romain Gary, le dernier publié du vivant de l’auteur, en 1980, était en réalité un roman de l’absurde. Absurdité de la vie, absurdité d’un amour contrarié, absurdité des Hommes face au second conflit mondial et au total absurdité de la guerre.
Ludovic Fleury, Ludo, est orphelin. Son père a été tué dans les tranchées lors de la première guerre mondiale et sa mère est morte peu après son mari, laissant un adolescent seul ou plutôt non, laissant Ludo à l’oncle de la famille, Ambroise Fleury, facteur de son état et dont l’ambition pour Ludo est de le voir intégrer cette respectable administration que sont les PTT.
Les habitants du village, Cléry, en Normandie, considèrent l’oncle comme un original, un « fada », un doux dingue dont la passion est de construire des cerfs-volants. Ces derniers, pour la plupart, représentent des personnalités politiques (Blum, Gambetta…) ou des écrivains (Voltaire, Rousseau…).
Tout cela est métaphorique car l’oncle de Ludo passe son temps à regarder ses cerfs-volants, lorsqu’il les fabrique dans son atelier de la Motte bien sûr, mais aussi et surtout lorsqu’il les fait voler, les yeux levés vers le ciel, comme pour s ‘échapper du monde médiocre des vivants.
Car, à l’exception de Ludo, les seuls êtres qui vaillent pour lui, ce sont les enfants de Cléry ; les enfants du village qui viennent dans son atelier fascinés par le travail du vieil Ambroise. L’innocence enfantine, la spontanéité, l’absence de calcul contre la mesquinerie et la pusillanimité des adultes.
C’est pour cette raison qu’Ambroise scrute le ciel pour mieux s’évader, voyager, imaginer, rêver et pour rester face à lui-même. A cet instant, comment ne pas penser à ces mots du Général de Gaulle répondant à un de ses ministres qui l’interrogeait sur la rudesse du monde politique : « vous savez, il faut de temps en temps gravir la montagne, là-haut il y a moins de monde et on y respire mieux. » répondit l’homme du 18 juin.
Cléry, par ailleurs, est le rendez-vous des gastronomes et des adeptes de la bonne chère. « Le Clos Joli », restaurant situé à quelques dizaines de kilomètres de Caen, est tenu par un personnage haut en couleur, un hurluberlu lui aussi, une espèce d’anarchiste : Marcellin Duprat. Ce dernier se moque de tout.
Il aura servi et satisfait des hommes très en vue. On dit que le gratin du personnel politique de la troisième République est venu au Clos Joli pour y déguster les mets les plus fins et les vins capiteux jalousement conservés par le maître de cuisine.
Duprat, à partir de 1940, servira les officiers de l’armée d’occupation comme les libérateurs américains à partir de juin 1944. Pour Duprat la cuisine, c’est la France : c’était sa façon à lui d’entrer en résistance. Il devra se justifier.
Ludo est agé de 10 ans lorsqu’il rencontre pour la première fois Lila, la fille d’une famille de la noblesse polonaise, les Bronicki, dont les aïeux se sont distingués sur les champs de bataille. Les Bronicki sont propriétaires d’une belle propriété située à proximité de Cléry : le manoir des Jars. Il y a là Tad le frère de Lila, Bruno l’ami de la famille et pianiste émérite et Hans Von Schwede, jeune junker prussien et éternel rival de Ludo.
A l’instar de son oncle, Ludo a la tête dans les étoiles. Élève très doué, il passe son bac à quatorze ans. Il lit tout ce qui lui tombe sous la main : les fabliaux du moyen-âge, « Le Feu » d’Henri Barbusse et « A l’ouest rien de nouveau » d’Erich Maria Remarque. Il ne néglige pas Rilke, Mann mais aussi José-Maria de Hérédia et bien d’autres auteurs. Ludo est insatiable.
Il se désespère néanmoins de Lila qui n’est pas revenue aux Jars depuis plusieurs étés.
N’y tenant plus, il rejoint la famille Bronicki dans leur château du côté de Gdansk. Le comte de Bronicki, appelé Stas, subjugué par sa prodigieuse mémoire en fait son conseiller particulier. Sauf que Stas Bronicki est un joueur invétéré, toujours débiteur auprès de nombre de ses amis et au surplus mauvais homme d’affaires. Peu importe ! Lila est là.
Ludo provoquera Hans en duel et ce, pour conquérir le cœur de Lila. Mais, Septembre 1939 avec l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht rebattra les cartes.
Le château des Bronicki est détruit, la famille, dans un premier temps, doit se cacher puis quitter la Pologne au plus vite tandis que Hans est désormais officier de l’armée allemande. Bruno, lui, ne quitte pas son piano. Pour l’instant.
Ludo rentre en France car une autre vie l’attend : la résistance.
Il retrouve son oncle affairé comme jamais à construire des cerfs-volants.
« Ambroise Fleury était enfoncé jusqu’aux genoux dans l’histoire de France sous son aspect le plus guerrier. Il y avait, autour de lui, pêle-mêle, tous les Charles Martel, les Louis, les Godefroy de Bouillon et Roland de Roncevaux, tout ce qui, en France, avait jamais montré les dents à l’ennemi, de Charlemagne aux maréchaux de l’Empire, il n’y manquait pas Napoléon lui-même… » écrit Romain Gary.
C’est la résistance des cerfs-volants avant la résistance authentique, la vraie résistance. En effet, Ambroise reçoit dans son atelier de la Motte, Jean Sainteny, responsable du réseau Espoir dans le Cotentin ( en réalité il s’agit du réseau Alliance). Pour « le vieux fou » la guerre va prendre une autre tournure. Pour Ludo aussi, du reste.
Ludo entre en résistance « pour hâter le retour de Lila. » Bruno de son côté a abandonné le piano pour devenir pilote de la RAF avec déjà sept victoires à son tableau de chasse tandis que Tad est aux côtés de la résistance polonaise.
Lila quant à elle semble perdue. Elle suit Hans désormais attaché au service d’un général allemand.
Elle se compromet avec l’occupant et traîne dans les lieux glauques de la capitale au bras du gratin de l’armée allemande.
L’histoire s’accélère. Hans est exécuté par la résistance, son général se suicide après un dernier repas pris au Clos Joli. Ambroise abandonne ses cerfs-volants pour rejoindre le Chambon sur Lignon, le village des Justes. Il est arrêté puis déporté à Buchenwald dont il reviendra tandis que Bruno, l’aviateur/musicien, n’obtiendra pas sa huitième victoire. Il est abattu.
Lila, arrêtée par la résistance, sera tondue par des résistants de la 25ème heure.
La Libération de la France du joug allemand offre parfois un triste spectacle : absurdité des comportements, bassesse de l’espèce humaine, médiocrité des Hommes, bêtise, violence et cruauté de la masse une fois libérée de ses peurs. Il y là les thèmes développés par Anatole France dans « Les Dieux ont Soif » et par Arthur Koestler dans son fameux « Spartacus. »
Lila et Ludo, quelques semaines plus tard, se marieront mais avant de convoler en justes noces, Ludo mettra un point d’honneur à ce que sa future épouse passe à nouveau chez Chinot, le coiffeur qui l’avait rasée à la Libération. Un pied de nez à l’absurdité de l’histoire.
Comment ne pas voir dans cette ultime image de Lila avec le cheveu court, le portrait de Jean Seberg épouse de Romain Gary disparue en 1979 dans des conditions mal élucidées, quelques mois avant le suicide de Gary en 1980. Amour contrarié, amour impossible, amour chimérique… Et s’il s’agissait de la peur d’aimer. Tout simplement !
Dans ce dernier roman, Gary s’abstient de juger les différents acteurs à l’exception des résistants de pacotille pour lesquels il nourrit une réelle aversion. Chacun a suivi son chemin. L’honneur de la résistance pour Ambroise, Ludo, Bruno et Tad, l’honneur des armes pour Hans, fussent-elles allemandes.
Est-ce à dire que Ludo rejoignit le maquis à défaut de rejoindre Lila, évanouie dans les limbes de sa mémoire et engloutie dans le tourment de l’histoire ? Le lecteur jugera. Ils furent, les uns et les autres, sincères et convaincus de la pertinence de leur choix sauf Lila qui, elle, n’a rien décidé et beaucoup subi. Mais que dire de ces habitants de Cléry que croisèrent Ludo, Ambroise et les autres et qui se réfugièrent dans le mutisme, le silence, l’inaction et la passivité, baissant la tête pour ne pas voir et ne pas être vus. Ils sont les grands absents du roman parce qu’aux yeux de Gary, ils n’existent pas. Ils ne sont rien.
Le problème avec l’histoire, c’est qu’il ne faut pas se tromper. Ne rien faire, ne rien décider et se cacher sont le moyen le plus sûr de préserver l’avenir que les passifs de Cléry se gardent bien d’insulter. Préférons à cette fausse indolence coupable ces mots de Walther Rathenau, Ministre de la République de Weimar : « Ce n’est jamais d’agir qui déshonore, c’est de subir ». Rathenau fut assassiné par l’Organisation Consul des amis d’Ernst Von Salomon. Et nous voici revenus aux prodromes de la Seconde Guerre mondiale… »
Didier Rossi
photo : Franck Leconte
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