Merci à notre Compagnon Didier Rossi qui nous invite à nous tourner vers le Second-Empire en nous offrant cette recension de « La Débâcle » de Zola, chef d’œuvre présentant un tableau sans fard de la déroute de nos armées à Sedan, devant les Prussiens. Encore une fois dans notre histoire si riche et tourmentée, notre « cher et vieux pays » a failli disparaitre.

Hélas, comme cela n’a pas échappé à notre Compagnon, l’histoire s’est répétée, cent ans après la naissance du romancier…

 « La Débâcle » est l’avant dernier livre de la saga des Rougon-Macquart écrit par Emile Zola, écrivain naturaliste. Ce roman s’inscrit dans cette œuvre majeure qui est l’histoire d’une famille se déroulant sur la période allant de 1861 à 1874.

Inutile de rappeler ici les grands romans de cet auteur prolifique que, nombre d’entre nous, avons étudié au collège, au lycée voire à l’université. On se souvient de « Germinal », « La Bête Humaine », « La Terre », …

« La Débâcle », c’est celle des troupes françaises lors de la guerre de 1870 contre la Prusse. Nous n’allons pas, dans le cadre de ce travail, relater les différents évènements, les combats, les situations insolites, les attitudes et les choix des multiples protagonistes, d’autant qu’il s’agit d’un roman fleuve de près de huit cents pages. Ce serait inutilement long, fastidieux pour le lecteur et, au fond, assez peu intéressant. Il suffit de se laisser transporter par le roman et donc le lire !

Ce qui est surprenant dans ce livre paru en 1892, il y a plus de 130 ans, c’est son extraordinaire actualité.

Les deux héros, Maurice et Jean, Jean Macquart, sont confrontés à l’horreur de la guerre. Tout les oppose, leur extraction familiale, leur formation, leurs aspirations et à la fin du roman, leurs rêves.

Maurice, reçu avocat quelques mois avant le début du conflit est un fils de bonne famille mais sans responsabilité militaire. C’est un engagé volontaire tandis que Jean, paysan, ancien de Solférino, est caporal mais aussi le supérieur hiérarchique de Maurice au sein du 106ème régiment de ligne. Ce dernier n’a qu’une piètre opinion de Jean qu’il considère comme un rustre maladroit quelque peu lourdaud. Mais, il doit lui obéir, et c’est bien là son problème.

Jean quant à lui, plein de bon sens, est doté d’une grande intelligence des situations. C’est surtout un homme d’une grande bonté et d’une grande générosité.

Mais au combat, ici comme ailleurs, les hommes révèlent leur face sombre mais aussi leur grâce. Jean sauvera la vie de Maurice à deux reprises. A partir de ce moment, le jeune avocat/militaire ne regardera plus le caporal Macquart avec les mêmes yeux. Puis, non loin de Sedan, c’est au tour de Maurice de sauver la vie de Jean blessé à la tête par un éclat d’obus. De ces épisodes naîtra une profonde amitié générant peu à peu une authentique fraternité, comme le métier des armes sait si bien en produire.

C’est bien cette leçon que nous enseigne les hommes au combat. La guerre peut redonner l’honneur à des voyous, révéler la médiocrité de certains à la tête bien faite mais elle remet surtout les hommes devant leur vérité. C’est une trieuse implacable car elle instaure une hiérarchie des valeurs différente de celle rencontrée dans le monde civil. Comme une épiphanie, la guerre par une prise de conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde des hommes, nous invite à ne jamais sombrer et au contraire à espérer.

Les hommes au retour des combats ne sont plus les mêmes car ils ont souvent connu l’horreur mais aussi, parfois, la fraternité, celle des armes. Et c’est le cas pour Maurice et Jean.

Seulement, Maurice trouvera la mort dans les combats de la Commune, lors de la Semaine Sanglante du 21 au 28 mai 1871. En effet, Maurice après avoir connu les horreurs des batailles et observé le comportement de la haute hiérarchie militaire a pris fait et cause pour les Communards tandis que son frère d’armes, Jean, légaliste et respectueux de l’autorité militaire poursuit sa mission de soldat au service du pouvoir en place réfugié à Versailles. Adolphe Thiers contre Jules Vallès et Louis Rossel !

Zola met fin à cette belle amitié entre les deux « frères » puisqu’à la fin du roman, c’est Jean qui malencontreusement, lors d’un assaut sur une barricade blesse mortellement Maurice, au grand désespoir du caporal.

Zola avec la mort de Maurice signe la mort de la Commune car, contrairement à ce que l’on croit, Zola a tenu à l’égard des insurgés de 1871 des propos peu amènes qualifiant ces derniers de « têtes folles », de « cerveaux détraqués », ou de « pauvres fous ». L’auteur de « Nana » rejoint ainsi les George Sand, Gustave Flaubert et quelques autres qui firent bloc contre la Commune.

Anti-communard en 1871 et dreyfusard à partir de 1894 jusqu’au procès en révision du capitaine Dreyfus, tel fut Emile Zola. Une vie, fut-elle celle d’un de nos plus grands écrivains, n’est jamais linéaire. Tout homme est amené à choisir au gré des événements qui se présentent à lui. Il ne faut pas se tromper, là réside sans doute le plus difficile.

L’originalité de cet avant dernier roman des « Rougon-Macquart » se niche également dans les travers et comportements du simple citoyen. Car comme dans tout conflit, il y a les profiteurs de guerre comme ce Delaherbe industriel de son état, qui n’a de cesse de se préoccuper de la préservation de son patrimoine, au prix de quelques accommodements avec les officiers prussiens. Et puis, il y a le simple citoyen lequel, tournant le dos à la morale et à son pays propose ses services à l’ennemi. Comme quoi, la collaboration ne date pas de 1940. Lacombe Lucien sévissait déjà en 1870 !

Rien de bien nouveau non plus s’agissant des officiers supérieurs, incapables de mettre sur pied une stratégie claire, différant les décisions, pris en étau entre une double impéritie, la leur et celle de Napoléon III, souffreteux et dépassé, obligeant par ailleurs la troupe à des marches puis des contre-marches si épuisantes que les pauvres soldats français ivres de fatigue n’offrirent, le plus souvent, qu’une faible résistance lors des multiples assauts. Force est de constater cependant que dénutris, assoiffés et atteints par la dysenterie, ils firent preuve d’un courage exemplaire.

En lisant les récits des combats et les choix malheureux des généraux, on pense à Marc Bloch et son immense livre « L’Etrange Défaite ». L’auteur de « La Société Féodale » ne fait que confirmer, dans son témoignage à chaud de 1940, ce que décrivait déjà, quelques décennies plus tôt, Emile Zola dans la « La Débâcle ».

L’autre attrait de ce roman, et non des moindres, c’est bien le profond réalisme des scènes de batailles. En effet, le lecteur sans être un véritable acteur, tour de force impossible à mettre en œuvre, n’est pas non plus un spectateur passif mais tel un reporter de guerre, il est au cœur des combats pour en saisir toute la férocité parfois la sauvagerie et l’atrocité. De ce point de vue la bataille pour la prise de Sedan est un modèle du genre.

Alors oui, ce dix-neuvième livre des « Rougon-Macquart » est un grand livre. On oserait presque écrire un témoignage sur la guerre de 1870 tellement les faits, les mouvements de troupe, les cavalcades effrénées et les volte faces des officiers sont d’un surprenant réalisme.

Le grand historien Raoul Girardet ne s’y est pas trompé puisqu’il estimait que « La Débâcle est un de ces documents privilégiés en dehors desquels l’histoire morale de la France contemporaine ne saurait et ne pourrait être écrite ».

Nous en sommes parfaitement d’accord.

Didier ROSSI

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