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Notre Compagnon, Didier Rossi, nous livre sa recension du roman de Bernard Clavel, publié en 1959 aux éditions Robert Laffon.

« 1939 : la guerre d’Espagne s’achève dans la souffrance et l’horreur. La France, en choisissant la politique de la non intervention, a laissé la République espagnole seule, ou quasiment, face aux divisions franquistes épaulées, elles, par les nazis, on se souvient de la Légion Condor, et les troupes de Mussolini. Les soldats républicains fuient les milices franquistes.

Après un voyage dangereux, redoutant la police française des frontières dont la mission première est de pourchasser les soldats républicains espagnols en fuite pour les rassembler dans des camps de fortune (Argeles Sur Mer, Le Vernet, Barcarès, St Cyprien), Pablo et Enrique arrivent dans un village niché au cœur d’une vallée jurassienne.

Éprouvés par leur périple, les deux espagnols finissent, en pleine nuit, par trouver refuge dans une grange jouxtant une exploitation viticole. Au réveil, « le patron » leur propose de travailler dans les vignes en contrepartie du gîte, du couvert et d’une modeste rémunération. C’est qu’il y a du travail dans la région car les hommes sont mobilisés. Pierre, le fils de la maison, est affecté sur la ligne Maginot.

Pablo et Enrique acceptent la proposition du « patron » appelé ainsi par Clavel comme pour nous signifier qu’il s’agit d’un personnage falot ; d’un homme sans visage, sans épaisseur et sans humanité. Pourquoi donc donner un nom à un homme d’une telle insignifiance et d’une telle lourdeur ?

Le travail est rude et le matériel rudimentaire. Heureusement, il y a « La Noire » une vieille jument quelque peu fatiguée par le labeur mais qui soulage la peine des hommes et notamment celle du vieux Clopineau, journalier attaché depuis de longues années à l’exploitation et dont il connaît la moindre parcelle.

Qui est donc ce vieil homme ? Désabusé, fatigué de l’espèce humaine, Clopineau incarne la sagesse, il sera le phare en haute mer, la boussole du personnage principal du roman : Pablo.

Ce dernier traîne derrière lui un souvenir qui le taraude dès que la solitude le surprend lors des longues soirées d’hiver et dès que son esprit le transporte de l’autre côté des Pyrénées : Mariana.

La guerre d’Espagne lui a pris son amour de jeunesse. Il ne peut l’oublier car l’oubli serait la deuxième mort de Mariana.

Pablo est fatigué de la guerre, de la mort qui rôde, des souffrances. Pablo aspire à la paix intérieure.

Pour oublier, mais peut-on oublier la guerre d’Espagne qui fut l’antichambre du second conflit mondial, Pablo s’étourdit dans le travail. Travailler, travailler encore et toujours, pour un bol de soupe et un confort sommaire.

Qu’importe Pablo veut renaître, repartir, revivre. Alors, il se lance à corps perdu dans le travail pensant y trouver le salut. Clavel semble nous dire que rien ne résiste au travail et qu’il vient à bout de tout. Même de l’injustice, des désillusions, de l’amoralité, du chagrin et du cynisme ? Nous verrons.

Enrique ne fera pas de vieux os dans les vignes. C’est un combattant. Il veut poursuivre le combat engagé en Espagne contre l’hydre fasciste en rejoignant la résistance intérieure française. Il exhorte Pablo à le suivre. « Il faut venger Mariana, Pablo » lui dit-il. Mariana, Mariana….

Enrique partira seul.

Pablo se prend de tendresse pour la petite Jeannette, la fille de la maison. L’enfant est handicapée et peine à s’exprimer. Seuls quelques borborygmes sortent de sa bouche. Dès qu’elle aperçoit Pablo son visage soudainement s’illumine de joie. Pablo comprend cet enfant.

« Le patron » meurt sans que cette disparition affecte vraiment ceux qui l’entourent. Quoi de plus normal ! Lorsque l’on ne donne rien, on ne reçoit rien.

Pierre revient quelques jours pour épauler Pablo, Clopineau et « la patronne ». Mais, il n’aime pas la terre, ni la vigne. Seules les lumières de la ville l’attirent. Choc de valeurs, de culture, quête asymétrique de l’accomplissement de soi, Pablo et Pierre ne peuvent se comprendre. L’un a combattu et connu les atrocités de la guerre tandis que l’autre attend l’ennemi, là-bas sur sa ligne Maginot, sans jamais l’apercevoir, tel Giovanni Drogo le personnage de Buzzatti du Désert des Tartares. Pierre s’ennuie et ennuie tout le monde. Pierre ne sera d’aucun secours. Pierre est bien le digne fils de son père.

Il repart au front et Pablo quittera sa grange pour dormir dans une chambre, celle libérée par Pierre. Pablo devient le conseiller de « la patronne » et même un peu plus. Il exhorte cette dernière à étendre le domaine qui, les mois passant, s’étend par l’acquisition de nouvelles parcelles. L’affaire est florissante. « La patronne » est heureuse, Clopineau rajeunit, Pablo retrouve goût à la vie et même la petite Jeannette semble sortir peu à peu de sa nuit. Tout ce beau monde est heureux et nous le sommes avec eux. Le courage et la volonté de Pablo sont venus à bout de ses démons.

« Post tenebras lux », après les ténèbres la lumière !

Mais la France est vaincue en quelques semaines parce que mal préparée à cette guerre moderne par un état major frappé d’impéritie. « Les chefs de 1939 pensaient refaire la guerre de 1914 comme les chefs de 1914 pensaient refaire les batailles napoléoniennes. Notre commandement était un commandement de vieillards » tel est le jugement sans appel de Marc Bloch émis dès l’été 1940.

Pierre démobilisé sans avoir tiré le moindre coup de feu, sans avoir rien appris des Hommes, sans avoir compris la fraternité des armes revient dans son Jura natal et s’amourache d’une fille de la ville.

Il regagne sa chambre et Pablo sa grange. Pierre, nous l’avons compris, ne veut pas de cette vie. Il invite fermement sa mère à vendre l’exploitation. Pablo tente bien de s’opposer à cette funeste idée mais Pierre rappelle à l’Espagnol sa condition de réfugié. Les vignes sont vendues.

Pablo saisit son havresac et s’en va rejoindre son ami Enrique. « Ah te voici, Pablo, L’Ebre, Guadalajara, Barcelone, Téruel, tu te souviens Pablo. Poursuivons ici le combat, ta place est parmi nous, avec la résistance. »

Pablo s’efforce de donner le change. En vain. L’appel de la vigne est plus fort et puis il y a la petite Jeannette, le vieux Clopineau et « la patronne ». Sa vie est là parmi eux, il le sent, il le sait. Il y retourne avec un vague espoir de poursuivre son chemin vers la quête du bonheur qu’il a tutoyé.

Mais rien n’est plus comme avant. Il n’ y a plus de place pour Pablo dans ce qui fut son havre de paix. A son retour, « la patronne », vieillie prématurément, invite Pablo à prendre possession d’une vieille masure perdue, là-haut dans la montagne. Clopineau s’efface tandis que Jeannette a quitté la maison familiale pour rejoindre un hospice dirigé par les sœurs.

Pablo retourne à sa solitude, à son angoisse et à sa mélancolie. Que lui reste-t-il désormais ? Le souvenir de Mariana et Jeannette. Devenu journalier, réduit à un travail obscur lui qui, grâce à Clopineau, savait tout de la vigne fera tout pour soulager Jeannette.

Il lui rendra visite chaque semaine et lui donnera ses maigres économies pour lui assurer une vie plus douce. Jeannette sera le dernier et désormais seul soleil de sa vie.

Tel était l’Espagnol Pablo dont les épreuves de la vie auront sculpté sa statue intérieure . »

Didier Rossi

Crédits : Didier Rossi

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