La grande famille des Gaullistes est en deuil ; le 31 décembre 2023, notre ami Michel Cherrier, Compagnon du gaullisme des temps de guerre, nous quittait à l’âge vénérable de 102 ans. Après une si longue et si belle vie, il laisse derrière lui de beaux et émouvants souvenirs, des pages de gloire mais aussi un héritage moral, ferment pour le présent et pour l’avenir.
Les Compagnons de Fidélité Gaulliste de Normandie étaient nombreux dans l’église de Luc-sur-Mer le 8 janvier 2024 afin de rendre un dernier hommage à leur « Grand Ancien ».
Avec plus de trente porte-drapeaux présents, le monde combattant était lui aussi mobilisé pour honorer celui qui à la fois fut évadé de France, interné en Espagne, combattant volontaire de la Résistance, combattant de la France Libre et combattant d’Indochine.
Au cours de son éloge funèbre prononcé dans l’église, le Président Franck Leconte a rappelé « le parcours de ce jeune Normand, plein de vie, d’audace et d’idéal, qui refuse la défaite, refuse l’humiliation de l’âme française, refuse le déshonneur et son pitoyable cortège de collaboration avec l’Occupant et de dénonciations, qui allait progressivement s’installer dans tout le pays… Le parcours combattant, civil, professionnel, familial, associatif de Michel Cherrier fut un exemple de droiture, d’abnégation et de modestie. Il incarne résolument l’esprit français, le courage, la volonté de s’opposer au défaitisme, le souci constant de l’autre, l’optimisme en action. Patriote éclairé et républicain intransigeant, le service de la France aura été pour lui inséparable d’un soutien sans faille apporté au Général de Gaulle, dans les temps de guerre comme dans les temps de paix ».
Son petit-fils, Paul Cherrier, qui est l’auteur du livre à paraître aux éditions Heimdal sur le parcours militaire de Michel Cherrier, a rendu un hommage émouvant à son grand-père dont voici le texte intégral ci-dessous, avec son aimable autorisation :
« Nous remercions tous les membres de notre famille ici présents, nos amis et ceux de Michel Cherrier, si nombreux venus lui rendre un dernier hommage.
Merci aux associations du monde combattant, notamment à l’UNC de Luc-sur-Mer, à Fidélité gaulliste de Normandie, à la section départementale de la Société des membres de la Légion d’honneur. Tous les porte-drapeaux ici présents sont, n’en doutons pas, observés de là-haut avec beaucoup de reconnaissance par mon grand-père.
Merci au maire de Luc Philippe Chanu et aux membres de son équipe, au directeur de cabinet du Préfet du Calvados de nous faire l’honneur de leur présence. Et un remerciement tout particulier à Thierry Brac de La Perrière, fils de l’Amiral que mon grand-père estimait beaucoup, de célébrer cet office.
C’est à Dives-sur-Mer que Michel Cherrier voit le jour le 23 février 1921, Berrichon par Martial, son père, et Normand par Mathilde, sa mère. Mathilde décède brusquement tandis qu’il n’a que cinq ans. C’est alors son oncle Louis, boulanger dans le Berry, qui l’accueille avec sa sœur Jacqueline. Louis, l’archétype du Gaulois avec ses grandes moustaches et son embonpoint. Il élève Michel et Jacqueline comme ses propres enfants. Dès lors, plein d’admiration, le petit Michel jure de marcher sur les pas de son oncle…
De retour en Normandie, élève très brillant, passé son certificat d’études on lui propose une orientation vers le métier d’instituteur. Le caractère déjà trempé, Michel refuse, voulant devenir boulanger. Mais son père tranche et lui déclare : « Tu seras d’abord pâtissier ». Á 15 ans, Michel commence son apprentissage de pâtisserie à Trouville. C’est très dur, mais ça lui plait, il aime se lever tôt, le travail en équipe et bien fait.
Á la déclaration de guerre, le jeune homme travaille pour la maison Paumard, près de la gare de Caen, où il peut s’adonner la boulangerie avec ferveur.
Michel quitte Caen à vélo lorsque l’armée allemande déferle sur la France, espérant lui échapper vers le Sud, en vain… Fin juin 1940, il est réfugié chez des cousins, aubergistes dans le Cher. Attablés pour le souper, des Parisiens dont l’exode s’est arrêté là évoquent un général français qui appelle à poursuivre la lutte en Angleterre. D’emblée, le jeune homme déclare : « J’irai ! ». Personne ne le croit, et cela ne fera que renforcer son obstination à rejoindre de Gaulle… et le bruit court bientôt que l’on peut y parvenir en gagnant d’abord l’Espagne.
Après quelques infortunes mais toujours avec sa bonne étoile, par une nuit noire de décembre 1942, Michel part en direction de la frontière espagnole. Son « passeur » l’abandonne dans le froid et la neige, mais Michel ne lâche rien et marche, marche durant des heures à travers la montagne, galvanisé par un idéal : libérer son pays de l’occupant nazi.
Le lendemain, il a réussi, c’est l’Espagne ! Mais le chemin vers la liberté est encore raide. Jeté à la prison de Lérida, il n’a rien à manger, rien pour se chauffer, aucune hygiène… Là, garder le moral relève de l’exploit, mais de solides liens de solidarité, de partage et d’entraide se nouent avec les autres évadés de France, dont un officier toulousain très cultivé qu’il admire : Julien Costes. Solidarité – partage – entraide – optimisme : des valeurs qui l’accompagneront toute sa vie…
S’ensuivent six longs mois au camp de concentration de Miranda, dans une inaction frustrante, car tous les Français enfermés là veulent se battre. Enfin, en 1943 Michel parvient à rallier l’Afrique du Nord française, passée dans le camp allié, et s’engage dans les forces navales combattantes.
S’il lui faut attendre encore avant de s’embarquer sur un navire de guerre, c’est chose faite au printemps 44 ! Aux États-Unis, il intègre l’équipage d’un escorteur flambant neuf, commandé par un officier remarquable d’humanité, le Capitaine de Corvette Tandonnet, comme lui évadé par l’Espagne. Préparant seul le pain pour tout l’équipage lors des nombreuses missions en mer, Michel réalise les objectifs qu’il s’était fixés, avec un moment fort le 16 août 1944 lors du Débarquement de Provence. Ce jour-là, depuis le pont de son navire, il aperçoit avec émotion le sol sacré de la patrie qu’il s’était juré de libérer. Á ses côtés, un compagnon d’armes anglais, son fidèle ami Joe Clark.
Après plus de deux ans d’absence il revoit son père. Si réticent au départ à l’idée que son fils entre en résistance, Martial lui concède finalement : « C’est toi qui avais raison ». Quelques mois plus tard, c’est la victoire ! Michel aura su, avec panache, faire honneur à deux éléments qui lui sont chers, l’un matériel, l’autre immatériel : le pain et la patrie !
Comme beaucoup de sa génération, pour Michel Cherrier la grandeur de la France, et son indépendance, constituent l’évidence. Au crépuscule de notre Empire colonial, reste-t-il dans la marine pour aller combattre en Indochine. Là-bas, il découvre des paysages enchanteurs, séduit par les innombrables îlots calcaires de l’envoutante baie d’Along, et il n’oubliera jamais le peuple vietnamien si attachant.
De retour à la vie civile, en 1948 Michel retrouve Caen rasé, martyrisé. Mais il croit en sa bonne étoile, il rencontre bientôt la belle Eugénie Vérolles – Gilette –, femme courageuse, à la fibre artistique, débordante de générosité. Ils s’unissent le 30 septembre 1950. Leur premier fils Pascal vient au monde deux ans plus tard ; il deviendra boulanger.
Le couple connaît de très rudes années de labeur avec leur première affaire, une petite pâtisserie dans une baraque en bois place de la gare. Avec un simple four de ménagère, Michel cuit chaque jour des centaines de croissants, de gâteaux, une performance immense dans le froid, au milieu des décombres qui s’éclipsent peu à peu. Caen revit. Après une deuxième affaire à Argences, Michel, Gilette et Pascal débarquent à Luc-sur-Mer en 1961, reprenant le bail de la boulangerie-pâtisserie-salon de thé du Petit-Enfer. L’incontournable salon de thé, dont les baies vitrées offrent l’un des plus beaux balcons sur la côte de Nacre. C’est un accomplissement pour eux ; ils resteront un quart de siècle au Petit-Enfer, qui voit la naissance de leur second fils Martial en 1968 – qui deviendra pâtissier, puis champion de culturisme et artiste plasticien –. Anecdote incontournable, en 1973 Michel accepte de mettre le salon de thé gratuitement à disposition de Bertrand Blier, pour le tournage des Valseuses avec Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Jeanne Moreau. Ah ça, la maison Cherrier marque le front de mer, en particulier durant les saisons estivales ; combien, des années après, parlent encore avec nostalgie des glaces italiennes et des baguettes de gruau toutes chaudes ? Michel, c’est aussi les marchés de Caen, Cabourg et Dives. Quelle vitalité ! Et quelle générosité ! Á ses yeux, non avare de sa réussite, il est tout naturel de faire don des invendus aux indigents, dans l’esprit de son oncle et de l’entre-aide fraternelle de Miranda.
Mais l’ancien quartier-maître de la Marine nationale n’a pas oublié son passé. Avec plusieurs anciens évadés de France, il fonde une association pour faire dûment valoir leur qualité de combattants volontaires de la Résistance. Il en sera d’ailleurs le tout dernier membre, continuant de faire, comme il aimait tant le dire, de la Résistance jusqu’au bout ! C’est aussi son implication à l’UNC de Luc-sur-Mer où il s’est fait de fidèles amis, je pense à Bernard qui, hélas, n’a pas pu être présent aujourd’hui.
Michel et Gilette chérissent les voyages : Grèce, Égypte, Thaïlande… un peu plus près, ils sillonnent le Berry paternel et les sentiers de l’Ariège, suivant les traces de son exploit de décembre 42. Mais aussi derrière la frontière, dans cette Espagne où les appartements confortables et les oranges abondantes ont remplacé les baraques sinistres et la soupe déprimante de Miranda.
En 1987, Gilette et Michel prennent une retraite bien méritée. Ils se contentent alors avant tout des petites choses de la vie : lire le journal, tailler ses rosiers, préparer la compote avec les pommes du jardin, couper les légumes en petits dés pour la soupe, éplucher les étrilles et bouquets ramenés de la pêche à pied. Observer et nourrir les petits oiseaux, qu’il affectionne énormément depuis son incarcération en Espagne. Michel et Gilette, c’est la convivialité, l’hospitalité à toute épreuve, toujours heureux lorsqu’à l’improviste leurs enfants, petits-enfants et leurs amis débarquent chez eux, rue du docteur Saussol. Alors, une bouteille de champagne est ouverte, les lits préparés et l’on restera le temps que l’on voudra. Papy et mamie, je vous dis un immense merci de m’avoir accompagné si généreusement, vous aussi êtes mes parents.
Le 8 mai 2015, Michel a l’éminent privilège de se voir décerner la légion d’honneur à l’hôtel de la Préfecture de Caen. Qu’il est en fier, mais au fond, c’est sûrement sa médaille des évadés qu’il affectionne le plus, attribuée dès son débarquement à Casablanca en juillet 1943.
De sa mémoire intarissable, souvent infaillible, naît l’idée de rédiger ses mémoires et de les publier. Avec une patience admirable, il doit composer avec la minutie de son petit-fils Paul et le mépris navrant, cruel, de nombreuses maisons d’édition. Mais, tel le rivage du Maroc après les longs mois de galère en Espagne, le bout du tunnel arrive enfin lorsqu’un éditeur de Bayeux, courageux, nous accorde sa confiance. Hélas, papy s’est éteint au matin du 31 décembre 2023, après avoir, oui, fait de la Résistance jusqu’à la toute dernière extrémité.
Sa chère Gilette, sa moitié, lui manquait tellement. Il l’a accompagné jusqu’à la dernière limite dans l’épreuve d’une longue maladie dégénérative, quasiment jusqu’à son décès en juillet 2023. Même à 102 ans, Michel n’a jamais hésité une seconde à lui donner à manger à la cuillère, tandis qu’elle ne pouvait presque plus rien avaler. Il n’a jamais hésité à la pousser dans son fauteuil alors que les propres jambes le faisaient tant souffrir. Jusqu’au bout, Gilette a senti la main réconfortante de son « poulet », comme elle l’appelait, serrer puissamment la sienne. Oui, le départ de sa Gilette avait éclipsé sa volonté, pourtant si solide, de continuer à vivre.
Son livre paraîtra dans quelques semaines, un vibrant hommage posthume. Un beau témoignage à laisser à la postérité pour honorer la mémoire de ce héros discret, de ce Français accompli, alors que l’avenir augure pour notre pays – c’est incontestable – le retour de très rudes épreuves pour les générations à venir…
Mon cher papy, puisses-tu trouver un repos bien mérité au côté des êtres chers qui t’ont quitté et qui t’attendaient : ta maman Mathilde, ton grand frère René parti si vite, ta sœur Jacqueline, ton petit frère Georges, tes fidèles compagnons d’armes Julien Costes, Guy Tandonnet, Joe Clark et tant d’autres amis mais bien entendu, la première de toute, ta Gilette, notre mamie.
Tu n’es pas mort, tu es entré dans la vie et tu te trouves toujours ici-bas en chacun de nous. »
Paul Cherrier.
Crédits photographiques : collection personnelle famille Cherrier
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