Notre Compagnon, Didier Rossi, nous offre une nouvelle recension après sa lecture du dernier livre d’Olivier Norek, « Les Guerriers de l’hiver ». Ce livre nous raconte comment le patriotisme d’une jeune Nation, la Finlande, s’est fièrement dressé devant la brutale tentative d’invasion perpétrée par l’Union soviétique en novembre 1939 et fait évidemment écho à une terrible actualité avec « l’opération spéciale » menée depuis le mois de février 2022 par la Russie en Ukraine. Où l’on ne peut que constater amèrement, plus de 80 ans après, que la Russie d’aujourd’hui s’inscrit dans le sillage de l’ex URSS et que les pays européens quant à eux sont tout autant démunis pour changer le cours de l’histoire…

 

Voici un roman historique qui fut, à la rentrée littéraire de l’automne 2024, abondamment commenté.

En effet l’auteur, Olivier Norek, connu pour ses romans policiers a surpris son monde en écrivant ce livre consacré à un épisode quasi ignoré de l’histoire de la seconde guerre mondiale, à savoir le conflit qui opposa du 30 novembre 1939 au 13 mars 1940 la Finlande à l’URSS de Staline et que l’on appelle communément « La guerre d’hiver. »

Il n’appartient pas au rédacteur de ces lignes de porter un jugement sur la qualité littéraire des quatre cent vingt pages que compte cet ouvrage.

Chacun se fera une idée !

Norek a le mérite de porter à notre connaissance des faits d’armes méconnus du grand public qui, s’agissant de la seconde guerre mondiale, se remémore plus aisément le Débarquement du 06 juin, Pearl Harbor, la Résistance, la Drôle de guerre et éventuellement l’opération Barbarossa.

Retenons que « Les guerriers de l’hiver » a obtenu le prix Renaudot des lycéens 2024 et le prix Jean Giono 2024 et qu’il fit partie de la première sélection en vue de l’obtention du prix Goncourt.

Comme souvent ce type de récit n’est pas seulement une juxtaposition de faits d’armes, d’opérations militaires et de combats désespérés c’est aussi, et surtout, une histoire d’amitié et de fraternité.

Qui sont-ils ces guerriers de l’hiver ? Ce sont les soldats de l’armée finlandaise appelés à défendre leur petit pays face à l’ours russe. Toutefois, l’auteur met l’accent sur un quatuor de jeunes garçons solides, rompus aux rigueurs du rude climat de ce pays et amis dans la vie.

Onni, Toivo, Piétari et Simo sont originaires de Rautjärvi en Carélie du Sud, commune à l’époque peuplée de quelques centaines d’habitants.

Des quatre garçons le héros c’est Simo, de son vrai nom Simo Matinpoika Häyhä. Simo est jeune, très jeune et il arbore une tête d’ange.

Le père de Simo est un chasseur émérite qui apprit à son fils la technique et les subtilités de la chasse notamment dans des conditions climatiques extrêmes (apprendre à respirer, à affronter les grands froids, à se dissimuler, à attendre des heures allongé dans la neige…).

Malgré sa jeunesse Simo est recruté comme tireur d’élite, un sniper dirait-on aujourd’hui. C’est un tueur redoutable, la hantise des soldats soviétiques. On l’appelait « Belaya Smert » c’est à dire « La Mort Blanche ».

L’autre protagoniste du roman c’est la Finlande. Pays méconnu hier et qui l’est tout autant aujourd’hui pour nombre d’entre nous.

Comme le dit l’auteur « Longtemps la Finlande appartint à d’autres. » Pendant des siècles elle fit partie intégrante du royaume de Suède puis pendant un siècle elle dépendit de la Russie.

Ce n’est qu’après le révolution bolchevique d’octobre 1917 qu’elle accéda à l’indépendance. La Finlande était par conséquent une jeune nation de vingt-deux ans lorsqu’elle affronta l’invasion soviétique.

L’autre caractéristique de ce pays atypique, avec ses 180 000 lacs et ses forêts à perte de vue, est son climat. Au nord les températures atteignent fréquemment, en hiver, les -30° voire les -40 et les -50°. Ce fut le cas lors de ces 6 mois de guerre et ce, au grand dam des combattants soviétiques surpris, au début du conflit, par ces conditions météorologiques inattendues à tel point que des divisions entières de combattants de l’Armée Rouge, dotées de simples équipements d’été, furent très rapidement décimées.

Aarne Edward Juutilainen est l’officier commandant ces jeunes hommes regroupés dans le 6ème bataillon. Buveur invétéré, houspillant avec sévérité ses hommes, ignorant tout de la diplomatie et de la bienséance, il n’en demeure pas moins que « l’Horreur du Maroc », surnom qu’on lui attribua à la suite des combats menés au Maroc au sein de la Légion étrangère, est un officier intrépide, courageux et quelque peu téméraire. Il est respecté par ses hommes.

« L’Horreur » aime ses soldats. Il les respecte en raison de leur héroïsme, de leur abnégation et de leurs souffrances endurées. Il nourrit par ailleurs une forme d’admiration pour Simo, la Terreur Blanche.

Karl Gustaf Mannerheim est le commandant en chef des forces finlandaises qui donna son nom à la principale ligne de front de ce conflit.

D’origine allemande par son père, il parle russe, anglais, allemand polonais, s’adresse toujours en français à son épouse et ses enfants mais, paradoxalement, maîtrise assez mal le finnois. Il devient à la fin de la seconde guerre mondiale Président de la République de Finlande.

Quant à Aksel Airo, il est le bras droit de Mannerheim et le planificateur de la « Guerre d’hiver » C’est une pièce maîtresse dans le dispositif mis en place par l’état-major finlandais. Mannerheim et Airo s’opposent souvent sur la stratégie à adopter face à l’envahisseur mais quelque chose les réunit par-dessus tout : la Finlande.

Enfin le dernier protagoniste n’a pas de visage, ne participe pas directement à la guerre, ne porte pas d’arme mais il est présent dans l’âme de chacun des combattants finlandais. C’est le « Sisu » c’est à dire la force intérieure, la ténacité, la résistance, la détermination de ces femmes et de ces hommes au courage incommensurable.

Voici ce que disait, à propos de ce peuple, un officier supérieur soviétique : « Une vie austère, dans un environnement hostile, a forgé leur mental d’un acier qui nous résiste aujourd’hui. »

Les raisons du conflit s’apparentent à celles rencontrées dans d’autres guerres. Les Russes invoquent d’obscures raisons liées à la sécurité de St Pétersbourg appelée Leningrad sous l’ère stalinienne et située à quelques dizaines de kms de la frontière. Il n’y a guère que 320 kms entre Helsinki et St Pétersbourg.

A vrai dire il s’agit, au nom de l’expansionnisme soviétique, de mettre la main sur un territoire qui selon Staline a toujours appartenu à « la mère patrie soviétique. » Cela nous rappelle quelque chose de très contemporain.

Olivier Norek nous dévoile, et c’est un des aspects assez méconnus de cette Guerre d’Hiver, les circonstances qui ont abouti au déclenchement du conflit.

Il s’agit, purement et simplement, d’une opération montée de toute pièce par Staline et ses séides.

Ainsi Molotov, le numéro deux dans la hiérarchie bolchevique derrière Staline, convoque le colonel Tikhomirov et lui demande de recruter six hommes au sein du goulag de Belomorkanal.

Cette escouade a pour mission sous l’autorité d’un certain Azarov, adjoint de Tikhomirov, d’attaquer un poste de garde soviétique donnant ainsi prétexte à Staline de déclencher les hostilités.

Une fois leur forfait accompli Azarov exécuta les « soldats/zeks » avant que lui-même ne soit abattu. Staline ne veut aucun témoin.

Les combats s’engagent, violents, terribles, impitoyables avec la mort partout. Combats inégaux puisque pour 7 soldats alignés du côté soviétique, les Finlandais en opposent 1 seul. Par ailleurs, l’armement de l’armée finlandaise est rudimentaire voire archaïque. Aussi, les soldats finlandais complètent-ils leur armement en s’accaparant celui des ennemis qu’ils abattent en grand nombre.

Les patriotes finlandais engrangent dès le mois de novembre, à la surprise générale, de nombreux succès face à un envahisseur médusé devant tant de détermination, d’audace et de bravoure.

Les exploits de la Terreur Blanche sont connus de toute l’armée finlandaise tandis que les Soviétiques sont, quant à eux, terrorisés par les ravages commis dans leurs rangs par ce tireur d’élite exceptionnel.

Au début de la Guerre d’Hiver les opérations militaires, côté soviétique, sont fort mal engagées.

Certes la ténacité de l’armée finlandaise, le froid, les équipements parfois inadaptés expliquent les revers de l’Armée Rouge. Mais, force est de constater que la tactique adoptée sur le terrain pour atteindre les objectifs du Haut Commandement soviétique expliquent aussi, en grande partie, les échecs des premières semaines.

C’est que les officiers soviétiques sont cornaqués par des idéologues du parti. Ce sont les fameux commissaires-politiques dépêchés par le Kremlin pour assister, disons plutôt surveiller, les agissements des officiers. Ces derniers, terrorisés, abandonnent parfois leurs prérogatives militaires pour s’en remettre aux choix hasardeux pour ne pas dire désastreux des envoyés du parti qui n’ont qu’une connaissance parcellaire de la chose militaire.

Des milliers de pauvres bougres furent ainsi envoyés à l’abattoir. Et quand l’officier conteste une décision du commissaire-politique, il est immédiatement frappé d’opprobre puis relevé de son commandement pour finir, au mieux, au goulag mais le plus souvent exécuté, sans aucune forme de procès, bien naturellement.

C’est le sort qui fut réservé aux officiers soviétiques Meklis, Borodine et Sadovski.

Staline pense que cette guerre asymétrique de par les forces engagées et l’armement mis à disposition des belligérants sera gagnée en une quinzaine de jours. Il n’en est rien. Comment un petit pays comme la Finlande sans tradition militaire belliqueuse peut-il contenir la puissance d’une armée qui déploie, à cette occasion, près d’un million de combattants appuyés par une puissance mécanique considérable ?

Staline s’est trompé. Il enrage mais il retiendra la leçon.

Simo, ses amis, « l’Horreur du Maroc », Mannerheim, Airo et tous les anonymes ne peuvent cependant contenir indéfiniment le rouleau compresseur soviétique d’autant que les soldats de l’Armée Rouge bénéficient désormais d’équipements beaucoup plus adaptés à cette Guerre d’Hiver.

Des contacts sont pris auprès des autorités françaises et britanniques. Une aide en matériel et en hommes fut décidée. Elle rassérène le commandement finlandais dès que la nouvelle est portée à sa connaissance. Seulement ni les Français, ni les Britanniques ne sont venus mourir pour Helsinki au même titre qu’au printemps 1939, on ne voulait pas mourir pour Dantzig.

Le Haut-commandement et les autorités politiques finlandaises devant la politique de non intervention décidée par les alliés et devant la déferlante soviétique n’ont pas eu d’autre choix que de négocier mais en position de faiblesse.

Le traité de Moscou qui met fin au conflit fut signé le 12 mars 1940. La Finlande perd de nombreux territoires notamment la partie finlandaise de la Carélie ainsi que plusieurs îles du golfe de Finlande, ce qui engendre un déplacement de populations. Au total, la Finlande abandonne 10 % de son territoire qu’elle ne retrouvera jamais.

Entre le 11 et le 12 mars 1940, c’est à dire à la veille de l’entrée en vigueur du traité de paix, autrement dit en vingt-quatre heures, Staline fait déverser sur les points stratégiques l’équivalent d’une semaine de réserve de munitions.

Quant à la France elle demande, en 1946, le remboursement de quatre cents millions de francs pour le matériel envoyé. La plupart du dit matériel n’arriva à destination qu’après la fin du conflit.

Simo, lui, est grièvement blessé au visage par un sniper soviétique qui utilisa des munitions pourtant interdites par la déclaration de St-Pétersbourg de 1868. En 98 jours, 542 soldats soviétiques tombent sous les balles du héros finlandais. Il meurt le 1er avril 2002.

« L’Horreur du Maroc » est blessé à trois reprises lors de la seconde guerre mondiale. Rongé par l’alcool qu’il continue d’ingurgiter avec constance, il passe le reste de ses jours dans une maison de retraite. Il décède en 1976.

La propagande soviétique poussa le zèle jusqu’à ignorer, tout du moins dans les manuels scolaires, la Guerre d’Hiver. Pour les écoliers soviétiques, il ne s’était rien passé entre novembre 1939 et mars 1940 puisque cet épisode n’était pas mentionné.

Finalement, l’état-major soviétique admis avoir perdu 350 soldats alors que les historiens s’accordent à dire, aujourd’hui, que les pertes furent de 400 000 morts, blessés ou disparus tandis que l’armée finlandaise déplore de son côté 70 000 victimes.

Hitler fut un observateur attentif de cette Guerre d’Hiver. En effet, nous avons vu que de guerre éclair, elle se transforma en bourbier. Dès lors, Hitler comprit très vite que la puissance militaire soviétique était un leurre et que l’Armée Rouge était un colosse aux pieds d’argile.

Cette donnée fondamentale modifia les plans du dictateur nazi qui rompit le pacte de non-agression signé par les émissaires des deux pays, à savoir Molotov et Ribbentrop et lança dès juin 1941 quatre millions de soldats à l’assaut de l’URSS pensant ainsi prendre un ascendant définitif sur le sort de la seconde guerre mondiale.

Ce qui fait dire à Olivier Norek que « personne, aujourd’hui, ne sait réellement ce que l’on doit aux soldats finlandais de la Guerre de l’Hiver. »

Nous ne pouvons pas conclure cette recension sans établir un parallèle entre cette guerre et celle qui se déroule sous nos yeux, en Ukraine, à deux heures d’avion de Paris.

Qu’avons-nous retenu de la Guerre d’Hiver ? N’y-a-t-il pas quelques étranges similitudes entre ces deux conflits ? Est-on assuré d’en avoir tiré tous les enseignements ? Rien n’est moins sûr mais laissons les derniers mots à l’auteur : « La guerre survient toujours par surprise, et il faut toujours un premier mort sur notre sol pour y croire vraiment. ».

 Didier ROSSI

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