Notre Compagnon, Didier Rossi, s’est plongé dans la lecture de « La maîtresse italienne », avant-dernier ouvrage de celui qui occupe le fauteuil n° 26 de l’Académie Française depuis le 18 décembre 1997, à savoir Jean-Marie Rouart. Sa recension ci-dessous de ce roman historique publié chez Gallimard en 2024, donnera indubitablement envie au lecteur de découvrir cette énigme historique d’importance pour notre histoire nationale.
« Une fois n’est pas coutume ! Nous ne traiterons pas ici d’un épisode de la guerre de 1870, pas plus de celle de 1914/1918 que de la dernière guerre mondiale.
Non, Jean-Marie Rouart nous transporte en Italie, sur l’île d’Elbe où l’Empereur Napoléon après ses adieux de Fontainebleau est assigné à résidence par les vainqueurs coalisés.
« La maîtresse italienne » c’est le titre de l’ouvrage de JM. Rouart et un roman dans lequel se mêlent la grande histoire de France, celle de l’épopée napoléonienne, mais aussi la petite histoire, pas toujours reluisante et naturellement la légende.
En effet, que serait l’histoire sans la légende !
Rouart convoque dans ce roman historique un personnage assez méconnu de cette période. Il s’agit de « la belle, jeune et légère » comtesse Miniaci.
Cette dernière a réussi, on se demande bien par quel subterfuge, à s’accoquiner avec tout ce que la Toscane et plus particulièrement Florence compte de nobles, d’aristocrates et de patriciens.
Les Aldobrandini, les Albizzi, les Pazzi, l’ancienne grande duchesse de Lucques, le gouverneur autrichien, le prince Starhemberg et le cardinal Consalvi comptent au nombre de ses relations que la comtesse Miniaci entretient avec habilité, à grands renforts de diplomatie mais aussi avec une assiduité pour le moins équivoque.
Âgée de moins de trente ans, elle reçoit tout ce beau monde dans son petit palais du quartier de l’Oltrarno à Florence.
Séductrice dans l’âme, elle réussit à mettre dans sa poche les épouses de ses amphitryons masculins qui ne manquent pas de lui faire une cour sinon appuyée tout du moins visible et évidente.
Naturellement, on lui prête moult aventures et pas seulement avec des hommes. Sont-ce des commérages ? Personne ne le sait vraiment.
C’est un halo de mystères qui entoure cette sulfureuse comtesse aux formes généreuses et au charme indéniable à tel point que le vieil ambassadeur des Etats pontificaux, Bénito Calvi, s’interroge au sujet de la comtesse Miniaci en se demandant si elle fut élevée « dans un couvent ou dans la plus huppée des maisons de plaisir ».
Il y a un peu de Milady de Winter, héroïne des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, dans cette comtesse Miniaci. Sont-elles, l’une et l’autre, des gourgandines ou des envoyées en mission au service d’une raison supérieure : la raison d’État ? Ou les deux à la fois ?
A l’instar de Milady, la belle comtesse n’hésite pas à recourir à des méthodes expéditives pour se débarrasser d’un « gêneur » comme ce fut le cas de son intendant irlandais dont on retrouvera le corps flottant dans l’Arno.
Mais là n’est pas la moindre des interrogations au sujet de la belle italienne. Nous sommes en plein congrès de Vienne qui doit statuer sur le devenir de la France, de l’Europe et du « grand proscrit », c’est à dire l’Empereur Napoléon, ainsi que le nomme JM Rouart.
Parallèlement, l’Italie bouillonnante, effervescente et fiévreuse mais éclatée en potentats régionaux fiers de leurs souverainetés et donc de leurs prérogatives sera-telle dévorée par les vautours qui siègent à Vienne alors qu’en son sein des velléités unificatrices, à l’instigation d’un Joachim Murat par exemple mais pas seulement, se font de plus en plus insistantes ?
Le prince de Bénévent, évêque d’Autun, notre cher Talleyrand Périgord, régicide, archange de la dissimulation et de la manipulation, est à la manœuvre pour se faire oublier, lui tout d’abord puis la France.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas dépecer la pauvre Italie engluée dans ses querelles intérieures et négliger quelque peu, à défaut de l’occulter complètement, le sort et l’avenir de la France.
Mais que pense donc la comtesse Miniaci de tout ce tohu bohu, de ces conciliabules et de ces tractations dans les cénacles où siègent et conspirent diplomates et émissaires de tout poil ? Est-elle légitimiste, royaliste, bonapartiste ? Le mystère sur sa personne s’épaissit…
Lord Castlereagh, aristocrate britannique est, avec Talleyrand et Metternich, un personnage central des négociations qui s’engagent au Congrès de Vienne.
Le représentant du Royaume-Uni, de la Grande-Bretagne et de l’Irlande a confié au jeune Neil Campbell, colonel écossais de trente-cinq ans, la garde du « grand proscrit » qui, même déchu, engendre peur et angoisse chez les têtes couronnées de la vieille Europe. Immense responsabilité pour un si jeune officier supérieur.
C’est donc Campbell combattant valeureux, portant un bras en écharpe en raison d’une vilaine blessure qui est responsable devant le monde entier de ce prisonnier bien encombrant que le colonel ne doit pas traiter comme tel et ce, en vertu d’instructions précises de Lord Castlereagh. En effet, l’Empereur peut vaquer librement à ses occupations dès lors qu’elles sont circonscrites au périmètre assigné par les vainqueurs, à savoir l’île d’Elbe.
C’est probablement en raison de l’échec de Neil Campbell que le « grand proscrit » devra subir les vexations et les affronts d’Hudson Lowe, son geôlier de Sainte-Hélène et de Longwood.
En attendant, Napoléon infatigable organisateur administre et dirige à toute allure son nouveau territoire. Il modernise les routes existantes, en crée de nouvelles, optimise l’exploitation du fer, richesse de l’île, rationalise l’agriculture, réforme le système juridique et rénove le système éducatif.
Il s’épuise dans de longues chevauchées à travers son nouveau domaine pour contrôler et donner de nouvelles instructions. La population, surprise mais surtout ravie, admire cette débauche d’énergie qui améliore notoirement la vie quotidienne.
Il rénove sa résidence principale à Portoferraio située à l’entrée du port et acquiert, malgré la pingrerie de Louis XVIII, une résidence d’été à Marciana sur la montagne afin de prendre le frais pendant les fortes chaleurs. C’est à Marciana que Napoléon reçoit ses émissaires, espions et séides à sa solde.
Mais souvent, dans sa solitude, face à lui-même, il regarde au loin. La Corse qui l’a vu naître, cette terre de France qu’il aime et qui lui doit tant et puis cette Italie qu’il a conquise en partie.
L’Empereur serait donc seul et éloigné du monde et destiné à un enfermement à vie, là aux portes de son pays.
Le « grand proscrit » au contraire a pris grand soin de développer et d’organiser son réseau d’informateurs à tel point qu’il sait ce qui se passe au Congrès de Vienne où son sort définitif fait l’objet de toutes les attentions. Un exil plus lointain est évoqué par les négociateurs : l’Amérique ou une île quasi inconnue de l’Atlantique sud… Sainte-Hélène.
En attendant, l’Empereur reçoit, à la nuit tombée, ses chers amis corses et parmi eux Cipriani de son vrai nom Jean-Baptiste Franceschi-Cipriani. Le fidèle Cipriani qui accompagna Napoléon à Sainte-Hélène et qui mourut à Longwood, près de celui qu’il servit toute sa vie.
De son côté, afin de retrouver quelques connaissances mais aussi la bonne société toscane et, il faut bien le dire, de rompre avec la monotonie insulaire, le colonel Campbell embarque pour Livourne puis chevauche jusqu’à Florence.
Pour la première fois, il rencontre la comtesse Miniaci.
Manifestement épris de la belle comtesse, Campbell n’a de cesse de la voir et la revoir. Pour communiquer avec elle, il met au point un stratagème avec un obscur marchand d’huile qui assure la liaison entre l’île d’Elbe et le continent. Bref, Campbell est amoureux tandis que la comtesse Miniaci se fait désirer et semble jouer avec lui comme le fait un chat avec une souris avant de la dévorer.
Un jour de mars 1815, après une nouvelle escapade à Florence chez la belle comtesse, il revient à Portoferraio pour, comme d’habitude, reprendre son service.
En pénétrant dans la baie, il sent qu’une atmosphère étrange règne sur l’île. Le navire amiral de l’Empereur « l’Inconstant » a disparu au même titre que les membres de sa garnison. La baie de Portoferraio est vide, désespérément vide. Le colonel écossais a compris, « l’oiseau, comme le dit JM Rouart, s’est envolé ».
Sa carrière définitivement brisée, sans avenir et sans espoir aucun, Campbell regagne son navire, le Partridge, et demande à faire route vers Livourne où de là il gagnera le palais de la comtesse qui saura le consoler, du moins l’espère-t-il.
Épuisé après une navigation longue de trois heures sous une pluie battante et une chevauchée harassante, le colonel Campbell approche du palais. Là, il constate une étrange agitation. Des sacs, des meubles, des impedimenta encombrent la rue. Des déménageurs s’affairent.
Campbell exige des explications de la vieille gouvernante de la comtesse. Que se passe-t-il ? Il veut savoir.
« La contessa è andata. Non so dove. No, non tornerà »
La comtesse est partie. Je ne sais pas où. Elle ne reviendra pas ». Ce seront là les seuls mots prononcés par la camérière.
Le 20 mars, autrement dit, un mois plus tard, le journal Le Moniteur, à Paris, publia un entrefilet laconique : « Le Roi et les princes sont partis cette nuit. Sa Majesté l’Empereur est arrivé ce soir aux Tuileries ».
Quel fut le rôle exact de la comtesse Miniaci dans ce brusque retournement que furent les Cent Jours ? Est-ce si important du reste d’apporter une réponse ?
Car, quand la petite histoire rejoint la grande et que la légende s’empare de cette dernière, il reste au lecteur l’imagination et donc le rêve. »
Didier ROSSI.
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